Christine Defraigne pointe un problème délicat dans une question écrite adressée tant à Koens Geens qu’à Elke Sleurs.
Les personnes concernées par la précarité et la pauvreté ne bénéficient pas toujours d’un accès à la justice et ce en dépit des mécanismes mis en place pour en assurer un. Ce constat malheureux sous-tend la question écrite que Christine Defraigne a dernièrement envoyée tant à Koen Geens, le ministre de la Justice, qu’à Elke Sleurs, la secrétaire d’Etat à la Lutte contre la Pauvreté.
La Présidente du Sénat se base en fait sur un rapport bisannuel du Service de Lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. Un document qui pointe trois grandes défaillances de la part des systèmes d’assistance juridique de première et seconde lignes : le manque de disponibilité des personnes qualifiées dans les bureaux d’aide juridique (certains n’ouvrant que deux heures par mois) ;l’articulation faible ou inexistante entre l’aide juridique de première et de seconde lignes ; et le fait que l’aide juridique créerait davantage de problèmes qu’elle n’en résoudrait aux yeux des justiciables en situation précaire (de par la méfiance de ces derniers).
Un manque d’accès qui n’est pas tout : les personnes en situation de pauvreté auraient souvent le réflexe de renoncer à leur droit d’accéder à la justice. Un exemple parmi d’autres : des locataires d’un logement insalubre n’introduiront pas d’action de peur d’être expulsés et de voir leurs enfants placés.
« Il semble donc utile de s’interroger sur les politiques menées en matière d’accès à la justice en raison du rôle protecteur qu’elle assure, notamment en matière d’emploi, de logement et aux niveaux social et administratif, explique Christine Defraigne dans sa question écrite. C’est toutefois une réflexion globale… qui doit être menée en ce qui concerne les différents services publics impliqués dans la lutte contre la précarité. »
La Présidente rappelle ensuite que le fédéral est compétent en matière de justice mais que l’aide juridique de première ligne est une compétences des Communautés. Sans parler des aspects comme l’aide sociale, le logement, l’organisation des CPAS qui, eux aussi, ajoutent une touche de transversalité.
Et Christine Defraigne de demander à Koens Geens et Elke Sleurs si leurs politiques respectives tient compte des éléments précités, s’ils disposent de statistiques relatives à l’exercice du droit de recours à l’encontre des décisions rendues par les CPAS et quelles solutions les divers services publics peuvent proposer pour rendre l’accès aux droits effectifs aux personnes précarisées.
La réponse d’Elke Sleurs était attendue au plus tard le 15 décembre 2016… et elle est arrivée au Sénat le 14 du même mois!
La voici dans son intégralité:
« Les engagements du gouvernement en la matière sont clairs.
La Justice est un droit garanti à tous. Dans un État de droit, les justiciables doivent pouvoir accéder rapidement et efficacement à la Justice pour faire valoir leurs droits.
Dans le domaine de la Justice, la dimension sociale est capitale. En aucun cas, la capacité financière des personnes ne peut être déterminante quant à leur faculté de faire valoir leurs droits. Pour cette raison, le système d’assistance juridique de seconde ligne est essentiel. Même si l’on développe d’autres pistes en vue d’accroître l’accessibilité de l’assistance juridique, comme la promotion d’une assurance assistance juridique générale, il convient d’accorder toute l’attention voulue aux personnes disposant de revenus plus limités.
La centralisation et l’analyse des jugements des tribunaux du travail relativement au droit à l’intégration sociale sont réalisées pour le compte du service public fédéral de programmation (SPP) Intégration sociale par une institution universitaire. Il n’existe pas de statistiques en la matière. Le dernier aperçu, qui date de 2014, peut être consulté sur le site Internet du SPP Intégration sociale.
Dans le nouveau Plan fédéral de lutte contre la pauvreté (2016–2019), plusieurs mesures relatives à la Justice sont également prévues :
– le ministre de la Justice s’est engagé à augmenter l’accessibilité du système de l’assistance juridique de seconde ligne ;
– il est prévu que le réseau des fonctionnaires fédéraux en charge de la pauvreté suive l’exécution des mesures issues du Plan fédéral de lutte contre la pauvreté. Fin 2017, un rapport intermédiaire sera rédigé au sujet des initiatives prises et des mesures exécutées. En tant que secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté, je porterai ce rapport à la connaissance du Conseil des ministres ;
– un rapport final sera rédigé à la fin de la législature. Celui-ci servira de base à une évaluation du troisième Plan fédéral de lutte contre la pauvreté et pourra être utilisé pour la rédaction d’un éventuel quatrième Plan. »
Quant à la réponse de Koen Geens, elle s’est fait attendre un peu plus longtemps… avant d’arriver le 5 novembre 2017.
« Le rapport sur la pauvreté et l’exclusion sociale de 2014-2015 a effectivement pointé plusieurs problèmes liés à la situation des personnes vivant dans des conditions précaires ou de pauvreté.
À ce sujet, la Justice a déjà pris une série de mesures qui répondent à certaines préoccupations mentionnées dans ce rapport.
L’aide juridique de deuxième ligne a été réformée en étroite collaboration avec les Ordres d’avocats en vue de moderniser et améliorer l’ensemble de la chaîne de l’aide juridique tant du côté des bénéficiaire que du côté des dispensateurs.
Du côté des avocats, il s’agit plus précisément de la mise en place d’un meilleur contrôle des prestations des avocats, d’une inscription obligatoire d’avocats (si les Ordres l’estiment nécessaire) sur la liste des avocats désireux d’accomplir des prestations au titre de l’aide juridique de deuxième ligne et d’une nouvelle nomenclature reflétant les nouvelles procédures.
S’agissant des bénéficiaires, on peut citer :
– la perception d’une contribution (20 euros) pour la désignation d’un avocat et une contribution (30 euros) par instance afin d’encourager le recours aux modes alternatifs de résolution des conflits, de responsabiliser le bénéficiaire et l’avocat désigné afin d’éviter des procédures inutiles. On répond ainsi à une des observations du rapport concernant les modes alternatifs de résolution des conflits.
Des exemptions sont prévues afin de ne pas entraver l’accès à la justice : le mineur, la personne malade mentale et la personne internée, la personne amenée à se défendre dans le cadre d’une procédure pénale et bénéficiant de l’aide juridique entièrement gratuite, la personne introduisant une procédure de reconnaissance de la qualité d’apatride, la personne introduisant une demande d’asile, la personne introduisant une procédure en règlement collectif de dettes, et la personne ne disposant d’aucuns revenus. Le bureau d’aide juridique peut dispenser du paiement de tout ou partie des contributions si le bénéficiaire démontre que le paiement entraverait gravement son accès à la Justice ;
– un contrôle plus adéquat des moyens d’existence du demandeur de l’aide juridique : les textes du Code judiciaire relatifs aux conditions financières d’accès à l’aide juridique de deuxième ligne et à l’assistance judiciaire sont harmonisés et font référence à la notion de « moyens d’existence » plutôt que de « revenus ». Ainsi, lors de l’examen des conditions d’accès à l’aide juridique de deuxième ligne, il est tenu compte de l’ensemble des moyens d’existence du demandeur comme par exemple les revenus de biens immobiliers, ou mobiliers, l’épargne et plus simplement des revenus au sens strict et, cela, afin de d’assurer l’aide juridique à ceux qui en ont véritablement besoin. Les présomptions d’insuffisance de revenus sont maintenues mais rendues réfragables en vue de réserver l’aide juridique de deuxième ligne à ceux qui en ont besoin ;
– rapprochement des procédures d’aide juridique de deuxième ligne et d’assistance judiciaire : harmonisation des conditions d’accès de l’aide juridique de deuxième ligne et de l’assistance judiciaire en utilisant les mêmes termes de « moyens d’existence » ; utilisation du même critère pour apprécier la demande (causes manifestement irrecevables ou mal fondées sont rejetées) ; la décision prise par le bureau d’aide juridique concernant l’octroi de l’aide juridique constitue la preuve d’insuffisance des moyens et s’impose au bureau d’assistance juridique et au juge pendant un an. On évite ainsi, comme le dénonce le rapport, un double examen, par deux instances différentes, du même critère d’accès.
Un fonds d’aide juridique a également été créé et servira à compléter le financement du système de l’aide juridique de deuxième ligne. Ce complément de recettes contribuera sans aucun doute à la délivrance d’une aide juridique de deuxième ligne de qualité.
En ce qui concerne l’accès à la Justice pour ceux se situant au-dessus des seuils d’accès à l’aide juridique, des discussions sont en cours afin de promouvoir l’assurance protection juridique par le biais d’un incitant fiscal.
S’agissant de la problématique de la promotion des modes alternatifs de résolution des conflits soulevée par le rapport, il peut être indiqué qu’elle sera traitée dans un projet de loi qui sera prochainement soumis au Parlement.
Enfin, en ce qui concerne l’aide juridique de première ligne, il est renvoyé au Communautés respectives, étant donné leur compétence en la matière. Toutefois, l’idée d’une meilleure articulation entre l’aide juridique de première ligne et de seconde ligne a été évoquée lors des débats parlementaires relatifs à la réforme de l’aide juridique. À cet égard, une réflexion pourrait être menée avec tous les acteurs concernés.
Pour ce qui regarde des personnes dépendantes des CPAS qui ont déjà eu recours au droit de recours dont elles disposent à l’encontre des décisions rendues par ces institutions, il n’existe pas de statistiques. »