Par le biais d’une question écrite à la ministre chargée de la Politique scientifique, le Sénateur MR a cherché à en savoir davantage sur la profonde refonte de l’Africa Museum, ce musée sis à Tervuren.
Alain Destexhe a, le 8 janvier dernier, adressé une question écrite à Sophie Wilmes, la ministre MR du Budget et de la Fonction publique, également chargée de la Loterie nationnale et de la Politique scientifique. Le Sénateur MR y aborde le dossier de l’Africa Museum qui, pour information, a rouvert ses portes le 8 décembre 2018 après cinq années de travaux de rénovation et d’agrandissement.
« Le vétuste MRAC n’a pas fait que peau neuve extérieurement, il a aussi connu une profonde refonte de ses expositions, note Alain Destexhe dans sa question écrite. La scénographie a ainsi été entièrement revue afin de »dépoussiérer » l’ensemble et de laisser s’exprimer une vision »décolonisée » de l’Histoire. Pour ce faire, un certain nombre d’associations et de personnes issues de la »diaspora africaine » ont été associées aux équipes du musée par l’intermédiaire d »un comité de concertation, le COMRAF. »
Le Sénateur MR en déduit que l’influence de ces associations sur les décisions prises par le Musée a été « conséquente ». Alain Destexhe souligne également le caractère transversal de cette matière relevant à la fois du Fédéral (établissement scientifique) et des Communautés (de par le patrimoine culturel et la dimension éducative).
Plusieurs interrogations
Et le citoyen d’Ixelles d’interroger la ministre sur plusieurs aspects du dossier. A commencer par la liste exhaustive des associations et personnes issues de la diaspora africaine qui ont collaboré ou été consultées. Il demande aussi comment celles-ci ont été sélectionnées et sur quels critères.
Alain Destexhe cherche ensuite à savoir quelle légitimité scientifique pouvaient mettre en avant ces associations et personnes et l’impact qu’elles ont eu dans le processus décisionnel de mise à neuf du musée.
Il pose enfin la question de savoir quel contrôle il y a eu face aux revendications de ces associations et personnes, si leurs points de vue ont été contrebalancés par des opinions différentes… et s’il est exact que des scientifiques du musée ont été « retirés de la conception de la salle coloniale, leurs visions et idées ayant été rejetées par la direction ». Last but not least, Alain Destexhe demande quel a été le budget alloué à ces différentes associations et personnes tout au long de la restauration ainsi que le contrôle qui a été effectué sur l’utilisation de ces fonds.
A noter que la ministre Wilmes n’était pas en charge de la Politique scientifique (et donc de l’Africa Museum) au moment de sa rénovation).
La réponse est arrivée le 12 février 2019. La voici:
1) Les organisations et personnes suivantes issues de la « diaspora africaine » ont participé à la refonte du Musée ou ont été consultées à ce sujet :
Bureau COMRAF III (Comité consultatif des associations africaines – MRAC) :
– Georgine Anne Dibua Mbombo de Bakushinta ASBL ;
– Chantal Eboko de l’Union des femmes ASBL ;
– Billy Kalonji ;
– Philippe Kasongo ;
– Kibaba de la Fraternités des Mamas Mpangu ASBL ;
– Bénédicte Moussa ;
– Mona Mpembele de Afrikavision ASBL ;
– Pétronelle Mubande de Bambou vert ASBL ;
– Ernesto Mulamba de Fondaco ASBL ;
– Sylvestre Nkiani de Eyor ASBL ;
– Jean-Baptiste Ngarambe ;
– Victorin Sambieni ;
Groupe des six :
– Billy Kalonji ;
– Ayoko Mensah ;
– Toma Muteba Luntumbue ;
– Anne Wetsi Mpoma ;
– Emeline Uwizeyimana ;
– Gracia Pungu.
Par ailleurs nous avons surtout fait appel à des personnes individuelles que nous avons, par leur profession, expertise et / ou expérience personnelle, trouvé important d’impliquer dans la rénovation.
2) Les membres du bureau du COMRAF ont été élu par l’assemblée générale du COMRAF. Le Groupe des six a été élu par le bureau du COMRAF. Pour les autres sur base de leur expertise, savoirs, vécus, etc.
Pour la sélection de ces associations et personnes nous avons fait appel à nos relations individuelles dans les communautés africaines. Grâce aux différentes activités, partenariats et collaborations organisées par les services au public et scientifiques, nous avons pu créer un réseau important de profils divers d’afrodescendants. Les critères de sélection pour celles et ceux qui ont travaillé sur la rénovation avec nos commissaires et scénographes ont été déterminé par les membres du COMRAF, les collaborateurs au sein du Musée ainsi que les consultants externes des communautés africaines de Belgique.
3) Les associations regroupant des personnes d’origines africaines en Belgique principalement ont pour mission de mettre en avant des valeurs socioculturelles plutôt que scientifiques. Leur légitimité se trouve dans les connaissances et expériences acquises, étant nés en Afrique ou ayant des parents d’origine africaine. Tout objet et œuvre d’art collectionnés pendant la période coloniale et après, a été produit par les mains des ancêtres résidant en Afrique centrale de ces communautés. Logiquement les personnes qui, en premier lieu, sont nés et ont grandi dans ces cultures, avec ces traditions, coutumes, langues et autres éléments culturels, ont acquis une connaissance et une sensibilité incontestable et intangible faisant partie de leur identité, et donc impossible de mesurer par des critères scolaires ou académiques. Le Musée a décidé de rénover dans la considération d’intégrer un narratif autre que celle des anciens coloniaux. Les collections ont majoritairement été composées sans l’implication des Burundais, Congolais et Rwandais colonisés. Une des caractéristiques du système colonial était précisément que les personnes ou groupes colonisés ne pouvaient pas se représenter eux même, mais que les représentants de ce système parlaient à leur place. Dans sa nouvelle exposition permanente le MRAC veut donner la parole aussi aux Africains et aux personnes d’origine africaine : celles et ceux qui ont vécu le passé colonial et qui ont créé les objets des collections du musée, et les descendants en Afrique et en Belgique.
4) L’organe consultatif de la diaspora, le COMRAF, a élu un groupe de personnes (Groupe des six) qui démontraient une affinité particulière et professionnelle des arts, de l’histoire africaine et des représentations de l’Afrique et des Africains dans un contexte muséal. C’est avec eux que nos commissaires et scénographes ont collaboré afin de connaître les sensibilités des afrodescendants dans la présentation et dans le discours menés autour des collections.
Nous avons trouvé important que les personnes de descendance africaine avec ces expertises puissent relire les descriptions, nous aider dans la sélection des objets à exposer, nous conseiller dans l’appel aux artistes contemporains, ainsi que le développement des contenus pour les ateliers pour enfants et adultes, les formations de guides, etc.
5) Parmi les historiens, anthropologues, sociologues et politologues professionnels et académiques il y a un grand consensus sur le passé colonial. Les différences ont lieu surtout entre les experts académiques entraînés et les profanes. Dans une institution scientifique fédérale la vision scientifique pèse plus.
Aucun scientifique n’a été retiré par la direction de la conception de la salle Histoire coloniale. Parfois, des historiens du MRAC ne s’estimaient pas compétents d’apporter des informations à cause d’un « mismatch » entre leur connaissances ou leur recherches actuelles et les choix qui forcement ont été fait. Il est par exemple évident que la spécialiste en histoire de Rwanda n’était pas autant concernée à contribuer une fois que la décision a été prise d’accorder 95 % de l’espace de la zone d’histoire coloniale au Congo. Le MRAC a pour toutes les salles travaillé avec le système du peer review scientifique. Pour la zone d’histoire coloniale, les « peer reviewers » étaient le professeur Jacob Sabakinu Kivilu (UNIKIN) et le professeur Guy Vantemsche (VUB).
6) Une partie des activités du service Éducation et Culture et de Muséologie sont financées par la DGD (Coopération belge) et tombent sous la rubrique « Activités de sensibilisation au Nord ». Voici les chiffres de 2014, 2015, 2016, 2017 pour le volet « Collaboration avec les diasporas » dans lequel se trouvent aussi le COMRAF et le G6 :
Budget global / Budget diaspora
2014 : 231 980,53 / 47 469,35
2015 : 225 734,76 / 46 760,60
2016 : 197 915,00 / 41 196,00
2017 : 159 031,00 / 31 658,00