Le 10 octobre 2017, le Sénat a approuvé la proposition de révision de l’article 12 de la Constitution en vue de permettre la prolongation du délai d’arrestation de 24 à 48 heures. Une avancée majeure dans la lutte contre le terrorisme, mais qui renforcera également les droits de la défense, comme l’a rappelé le Sénateur MR Jean-Paul Wahl, qui a défendu ce dossier devant ses collègues.
Le Sénat a parfaitement joué son rôle prévu par la Constitution (via son article 77), qui le met sur un pied d’égalité avec la Chambre pour les matières requérant une révision de la Constitution.
C’est donc dans ce cadre que le Sénat est intervenu pour adopter le projet de loi. L’article 12 de la Constitution inscrit en effet la liberté comme droit immuable dans notre pays. A ce titre, il fixait jusqu’à présent à 24 heures le délai de ce que l’on appelle couramment la garde à vue, via une formule implicite : « Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures ».
doter la Belgique d’un outil indispensable…
Les récents attentats terroristes qu’a connus notre pays ont poussé le gouvernement fédéral à adopter une batterie de mesures concrètes pour renforcer l’arsenal judiciaire et augmenter la capacité de contrôle des personnes suspectées. L’extension du délai de garde à vue en faisait partie, même si la mesure initiale prévoyait une extension de ce délai jusqu’à 72 heures (toutefois rejetée par la Chambre en juin dernier).
Il faut dire que la Belgique faisait presque office d’exception en la matière. De nombreux pays européens disposent en effet d’un délai de garde à vue bien au-delà des 24 heures. Au Royaume-Uni, ce délai peut même être étendu à 28 jours pour les faits de terrorisme !
Il était donc important de doter notre pays d’un outil indispensable suite aux récents évènements. Mais cette mesure présente également des éléments bénéfiques pour la défense.
… tout en respectant les personnes mises en garde à vue
C’est ce que Jean-Paul Wahl a expliqué lors des travaux au Sénat. Pour le Sénateur, c’est son expérience professionnelle qui lui permet d’identifier les enjeux pratiques d’une telle décision pour la défense : « Trop souvent, en tant qu’avocat, j’ai regretté que mes clients ne puissent pas être maintenus plus longtemps en garde à vue. Cette prolongation de 24 à 48 heures va dans le sens d’un plus grand respect des gens. Elle permettra d’éviter de mettre des personnes en prison pendant un mois, avec des conséquences parfois dramatiques sur la vie familiale, la vie professionnelle. 24 heures, cela constituait un délai si court durant lequel il était quasi impossible pour la police de réunir assez d’éléments, de procéder aux auditions, de mener les perquisitions voulues dans de bonnes conditions ».
Le Sénat a étudié le texte en présence du ministre de la Justice
Avant d’approuver cette proposition de révision de la Constitution, le Sénat a mené ses travaux dans un délai relativement court. Le texte a en effet été approuvé par la Chambre le 13 juillet 2017 et transmis dans la foulée au Sénat.
Comme c’est traditionnellement le cas lorsqu’il s’agit de révision de la Constitution, c’est la commission Affaires institutionnelles qui a pris le dossier en main. Celle-ci est présidée par Christine Defraigne, qui est également Présidente du Sénat. Y siègent également les Sénateurs MR Anne Barzin (cheffe de groupe) et Jean-Paul Wahl.
Dans le cadre de leurs travaux, les Sénateurs ont auditionné le Ministre de la Justice Koen Geens, qui portait cette réforme au nom du gouvernement fédéral. Les Sénateurs MR ont notamment insisté auprès du Ministre pour que cette mesure soit effective le plus rapidement possible. Cette modification de la Constitution ne peut en effet entrer en vigueur que si la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive est, elle aussi, adaptée. Le délai de 24 heures doit donc aussi être porté à 48 heures dans cette loi.
Suite aux travaux menés en commission, la cheffe de groupe MR au Sénat Anne Barzin, en sa qualité de co-rapporteur, a présenté le rapport qui reprenait l’ensemble des commentaires et interventions des Sénateurs. Ce document constituait la base sur laquelle le Sénat allait adopter sa position.
Le rapport a été adopté à l’unanimité en commission avant d’être envoyé en séance plénière le 10 octobre. Conformément à la Constitution, une majorité spéciale (dite majorité des deux-tiers) devait être réunie pour que le texte soit approuvé. Ce qui fut chose faite avec 42 voix « pour », 4 « contre » et aucune abstention.
Qu’en est-il concrètement ?
Le Sénat, garant de la solidité institutionnelle de notre pays, a donc permis la modification de la Constitution. Si l’on a déjà pointé le caractère abstrait de la définition de la garde à vue selon l’article 12, dans les faits, cette révision met à disposition de la Justice un outil très concret.
Selon les propos du Ministre Koen Geens en commission Affaires institutionnelles, il peut in fine y avoir deux périodes de privation de liberté : la période précédant la délivrance du mandat d’arrêt par le juge et qui ne peut excéder 48 heures (sauf en cas de flagrant délit), et la période qui suit la délivrance du mandat d’arrêt par le juge et qui consiste en une détention préventive ordonnée par le juge d’instruction, la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation. À cet égard, la nécessité de la détention préventive est réévaluée régulièrement.
Qu’est-ce qui doit encore changer ?
On l’a dit, cette révision de la Constitution ne peut entrer en vigueur que si la loi du 20 juillet 1990 est également adaptée. Mais elle aura des conséquences sur d’autres lois. Ainsi, le délai de 24 heures doit aussi être remplacé par un délai de 48 heures dans la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen et dans la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police.
Qui plus est, la modification projetée de la loi relative à la détention préventive prévoira une obligation d’évaluation par les Ministres de la Justice et de l’Intérieur.
Historique et procédure
Au cours de la législature précédente, le législateur avait décidé, par la loi du 13 août 2011, dite « loi Salduz », de permettre au juge d’instruction de prolonger une détention de 24 heures à 48 heures, et ce moyennant une ordonnance motivée. Cette modification avait pour but de fournir une réponse à la directive « Salduz » de l’Union européenne. Il a été donné mission à la Constituante de modifier l’article 12, dans cette optique.
Cette « mission » était essentielle au regard de l’importance d’une telle modification et du besoin de respecter la solidité de notre Constitution sur laquelle repose l’ensemble de nos lois. Il fallait en effet exclure que le législateur « normal » puisse modifier à l’avenir la Constitution de façon implicite. Toute ambiguïté doit être évitée. C’est en vertu de sa qualité de garant de l’équilibre des institutions que le Sénat fut associé aux discussions.
Une mesure parmi d’autres dans le renforcement de la lutte contre le terrorisme
A la suite de l’opération anti-terroriste menée à Verviers de janvier 2015, le gouvernement fédéral avait présenté 12 mesures d’urgence pour renforcer les moyens de lutte contre le radicalisme et le terrorisme, en mettant l’accent sur l’échange d’information et le renforcement des moyens pour le renseignement.
18 mesures supplémentaires, dont le projet d’extension du délai de garde à vue, ont été présentées en novembre 2015. Au total, ce sont bien 30 mesures concrètes que le gouvernement a prises sous cette législature pour lutter efficacement contre le terrorisme. Leur mise en œuvre permettra de recourir aux outils juridiques spécifiques nécessaires pour protéger les citoyens.
Robin Loos