La proposition de résolution déposée par le Sénateur MR de La Louvière revient en séance plénière ce vendredi 29 mars. Retour avec l’intéressé sur les constats et recommandations de ce texte fouillé et fondé. Interview.
Près d’un an après avoir été prise en considération par le Sénat, votre proposition de résolution sur l’e-commerce est de retour en séance plénière pour probablement y être adoptée…
Dans les faits, l’analyse du texte en commission des Compétences régionales a réellement commencé en novembre dernier. Dès le début des travaux et de la discussion générale, j’ai pu faire comprendre aux membres de la commission qu’il ne s’agissait pas ici d’une « simple » proposition de résolution dont nous pourrions débattre en une ou deux séances. Le sujet est d’une importance majeure ; il fallait donc le traiter comme tel. Nous avons dès lors proposé de mener plusieurs auditions regroupant l’avis d’experts, d’académiques, de commerçants mais également d’hommes de terrain qui ont permis le plein développement de leur centre-ville.
Vous n’avez pas donc abordé que le commerce en ligne ?
C’est un point essentiel que d’avoir pu intégrer une dimension « commerce physique » à notre proposition de résolution. Car les auditions nous ont directement fait comprendre que le sujet de l’e-commerce dépassait le cadre de l’achat de biens sur des sites tels qu’Amazon, Alibaba… Le message que notre groupe a voulu faire passer était simple : « Cessons d’opposer e-commerce et commerce physique ! Allons au-delà des constats faussement établis qui voudraient qu’un type d’activités (en ligne) détruise forcément l’autre. Soyons ambitieux, développons une réelle stratégie d’attractivité pour les entreprises d’e-commerce et dans le même temps, formons nos entreprises, nos citoyens, à ses nouveaux outils et veillons à assurer le dynamisme de nos commerces, pleinement intégrés dans leur ville et dans la modernité. »
Comment ce leitmotiv s’est-il traduit dans vos travaux ?
Nous avons notamment invité Frédéric Marquet, Manager du commerce de la ville de Mulhouse. Et c’est à une véritable leçon de politique de développement local que nous avons pu assister. L’engagement de M. Marquet auprès des commerçants de Mulhouse était éclairant. Et si aucune recommandation ne peut traduire réellement son action en tant que Manager de centre-ville, la prise de conscience était réelle pour les Sénateurs présents lors de son audition.
Plusieurs auditions ont été menées. A quoi ont-elle abouti ?
Plusieurs constats ont tout d’abord été dressés suite à ces interventions. Il importe désormais d’en pointer un certain nombre, éclairantes tant pour comprendre les enjeux auxquels notre pays fait face pour attirer des entreprises d’e-commerce que pour encourager les commerçants à saisir les nouvelles opportunités offertes par le web. Je l’ai dit, il est primordial de ne pas réfléchir en vase clos. Ce message a d’ailleurs été relayé par plusieurs intervenants.
Quelques exemples ?
L’UCM a pointé le besoin de visibilité sur le web pour les commerçants. C’est un sujet complexe qui dépasse la simple page Facebook, et s’avère coûteux en termes de temps et de personnel. De même, si le web peut être une opportunité pour certains produits-niches, tous les commerçants n’ont pas un potentiel e-commerce. Il est important de le rappeler : « aller en ligne » ne signifie pas uniquement « vendre en ligne et de lancer sa plateforme e-commerce » ou rejoindre une grande plateforme. Le client doit disposer d’un maximum d’information sur le commerce (heures d’ouverture, catalogue, parking…). L’UCM a également rappelé que la création de clusters ou de regroupements de commerçants sur le même interface web est une solution pour accroître la visibilité et partager les coûts. Ce constat est pleinement partagé par le groupe MR car il est évident que pour aller en ligne, un commerce doit à la fois disposer de ressources financières, techniques et humaines ainsi que d’une échelle de vente suffisante.
Comeos est également venu témoigner…
Effectivement. Cela nous a permis d’apprendre ou vérifier que le commerce se dirige de plus en plus vers l’omnicanal et des méthodes de vente hybrides, alliant les présences physique et en ligne (avec différents moyens de retrait et de livraison). Cela implique une mutation des commerces et une gestion pointue des centres-villes. Les commerces physiques doivent dorénavant privilégier l’expérience client, tandis qu’il ne faut pas chercher à promouvoir en ville une offre continue de produits facilement trouvables sur Internet.
Autrement dit ?
Mieux vaut miser sur des services attractifs au sein de centres-villes dynamiques, offrant à la fois du choix parmi les grandes marques et des commerces plus spécifiques voire uniques, attirant tout type de clientèle à la recherche de produits, certes, mais également d’une expérience particulière en centre-ville. Lorsqu’on sait la complémentarité entre certaines et l’attractivité que génère des enseignes de renom, il est crucial d’avoir un plan de développement qui prennent en compte ces critères et cette diversité de commerces. Il s’agit de définir une stratégie pour les centres-villes qui s’intéresse aux services proposés plutôt qu’à la réplication de modèles existants sur Internet.
La situation belge présente-t-elle des spécificités ?
Le constat est clair : nos enseignes restent petites et limitées au marché belge. Il faut renforcer leur compétitivité car c’est un enjeu de survie à long terme. Si l’alimentaire ne représente quasi rien actuellement dans l’e-commerce, le secteur connaît une croissance énorme et les grandes plateformes de l’e-commerce rachètent d’ailleurs des magasins physiques. A ces constats sur la complémentarité du web et du commerce physique, nous avons pu ajouter ceux sur les enjeux réglementaires auxquels notre pays fait face pour développer l’e-commerce. On a pu entendre plusieurs constats, sonnant à la fois comme un alerte et un encouragement pour le politique.
Lesquels ?
Voici quelques éléments entendus lors des auditions :
Notre pays manquerait de capacité d’innovation et ne jouerait pas sur un même plan par rapport aux pays voisins en termes de législation sur le travail notamment. Le marché du travail belge n’est en effet pas assez flexible pour l’e-commerce. Mais il faudrait pouvoir organiser cette flexibilité au niveau européen. A l’heure actuelle, nous ne pouvons pas rivaliser avec la flexibilité du marché du travail néerlandais, par exemple. Il y aussi un manque d’infrastructure pour faciliter les livraisons est criant. Enfin, il faut absolument renforcer les initiatives menées par les hautes écoles et universités en matière de formation et d’éducation au numérique pour doter les jeunes des compétences nécessaires.
Flexibilisation, investissements en infrastructures (routières et logistiques) et formation au numérique, donc ?
Oui. Ce sont là trois domaines qui, mis côte à côte sur le plan des compétences, concernent le Fédéral, les Régions et les Communautés et qui révèlent la pertinence d’actions coordonnées entre niveaux de pouvoir. Car si les intervenants ont salué les mesures prises, notamment au niveau fédéral, concernant la flexibilisation et la réduction des coûts sur le travail. Mais il convient d’aller plus loin.
Aller plus loin, mais dans quelles directions ?
D’autres domaines méritent ainsi une attention particulière, d’autant plus à l’heure actuelle où la question climatique domine l’actualité. Il s’agit notamment de la problématique des livraisons et de leur impact tant sur la mobilité que sur les émissions de gaz et autres polluants. Nombre d’intervenants ont plaidé pour une gestion groupée des livraisons ainsi qu’au verdissement des moyens de transport (principalement des camionnettes de compagnies privées). L’analyse de leur impact est certes complexe (les livraisons limitent certains déplacements individuels) mais il convient de s’attaquer au problème.
Mais il s’agit-là uniquement de constats…
Ces constats, nous les avons traduits en recommandations, vingt-et-une pour être précis, articulées dans un premier temps autour de trois thématiques : Attractivité internationale, Développement en ligne des commerçants et Accessibilité aux citoyens. En choisissant cette structure en trois piliers, nous voulions développer une vision large et cohérente. Les auditions n’ont fait que confirmer le sentiment du groupe MR, et il nous a donc suffit de décliner ces thématiques en recommandations concrètes.
Comme…
Poursuivons le développement d’infrastructures routières et logistiques ; assurons-nous qu’elles soient porteuses d’emplois et qu’elles s’intègrent dans des centres d’activité économique. Continuons à flexibiliser notre marché du travail tout en protégeant les travailleurs. Veillons à l’harmonisation de certaines règles fiscales et de TVA au niveau européen et assurons-nous d’une politique de concurrence adaptée qui punit les abus de position dominante. Favorisons la mise en réseau des PME et leur présence sur le net. Développons les compétences numériques des entrepreneurs et des citoyens via des formations diverses et variées, constamment renouvelées…
Ces trois domaines ont-ils couvert toute la question de l’e-commerce ?
Non. C’est pourquoi, à ces trois thématiques, nous avons ajouté les aspects de mobilité et de politique urbaine. Certaines recommandations fortes y sont présentées, tels que le verdissement du parc des camionnettes privées de livraison, la sensibilisation à des livraisons groupées et même, signe que notre institution est tournée vers l’avenir, la livraison par drones. Ce quoi aboutir à une résolution cohérente, complète, qui dresse les enjeux essentiels et en appelle à l’action concertées des différents niveaux de pouvoir. Le fruit d’un vrai travail d’écoute et de transposition d’avis d’experts.
Mais tout ça, c’est de la théorie…
Le texte porte avant tout un message positif sur l’avenir du commerce, un message que souhaite porter notre groupe au-delà de cette assemblée. C’est pourquoi, fort de cette résolution que notre groupe a portée depuis le début, je me suis rendu il y a quelques semaines avec mes collègues au sein de l’entreprise de torréfaction Looze, petite entreprise familiale de Feluy, dans la région du Centre, qui a sauté le pas de la vente en ligne. Il s’agissait pour nous de démontrer tout le potentiel de l’e-commerce et sa complémentarité avec le commerce physique. Mieux, l’e-commerce, développé à l’échelon local ou régional, mettant en réseaux les PME et artisans, est un levier de croissance pour nos commerçants. Or, l’entreprise Looze fait partie d’un réseau – Proximart – qui regroupe divers commerçants et producteurs de la région. Ce projet permet à un client de passer commande en ligne, sur cette plateforme, et de bénéficier d’un choix de plus en plus large de produits locaux, bio ou durables, livrés chez lui une fois par semaine. Voilà le genre d’initiative positive qu’il convient d’encourager !
Le mariage de la technologie et des pratiques traditionnelles, en somme ?
Et une réponse efficace entre la demande de la population de retrouver des produits de qualité et la nécessité pour les commerçants de s’adapter à l’évolution technologique tout en diversifiant leurs canaux de distributions. C’est ainsi qu’il faut penser le développement de nos commerçants, en leur offrant toutes les possibilités pour grandir, se diversifier, se regrouper… C’est donc sur cette recommandation de notre résolution que je voudrais insister encore une fois : favoriser la mise en réseau des PME et leur présence sur le net. Ces initiatives se multiplient, elles doivent être encouragées. Ce genre d’initiative l’illustre bien : le commerce n’est pas mort, il évolue. Par cette approche positive de l’e-commerce, encouragée par des mesures profondément libérales (réduction de charges, simplification administrative, formation…), nos commerçants peuvent envisager l’avenir avec confiance.
Une conclusion ?
Il y a une nécessité pour notre économie, pour nos commerçants, et pour nos centres-villes de saisir l’opportunité du commerce en ligne. Les pouvoirs publics ont la capacité de créer les conditions favorables à une cohabitation vertueuse entre le commerce physique et l’e-commerce. Mais cela nécessite un engagement plein des différents niveaux de pouvoir et une volonté de faire bénéficier à tous, commerçants et citoyens, des nombreuses possibilités offertes tant par l’e-commerce que par une redynamisation des centres villes, complémentaire, je le répète, au commerce en ligne.
Dans la droite ligne des vues du Mouvement réformateur…
Le MR continuera le travail en ce sens, en soutien total aux indépendants, aux artisans et aux commerçants souhaitant embrasser cette révolution et développer leur entreprise. Plus que jamais, il convient de permettre à ces entrepreneurs de disposer de tous les leviers nécessaires à la transformation et l’amélioration de leur commerce. Nous avons d’ailleurs prévu dans notre programme l’assouplissement des heures d’ouverture et la fin de l’obligation de fermeture le dimanche. Ces mesures viennent compléter tout un arsenal de dispositions. Nous croyons dans un commerce moderne, dynamique, tout dévoué à l’expérience client et à la mise en place de nouveaux services, associant conseils de qualité, commande en ligne, retrait en magasin, points relais, animations du centre-ville, associations entre commerçants de quartier, poussé par une volonté politique forte à tous niveaux de pouvoir. Cela restera le sens et l’ADN de notre engagement politique.