Christine Defraigne a mis le doigt sur une difficulté que connaît notamment la Belgique : une pénurie plus ou moins marquée d’interprètes dans les procédures concernant des mineurs. Sa question écrite détaille bien la problématique.
Le 1er mars, Christine Defraigne, Présidente du Sénat, a adressé une question écrite à Koen Geens, le ministre de la Justice. L’élue MR y expose en détail mais avec clarté un problème qui concerne les enfants étrangers soupçonnés ou accusés dans des procédures pénales, à savoir un manque d’interprètes, a fortiori dans certaines langues.
Voici, ci-dessous et en intégralité, le texte de Christine Defraigne.
« L’association Defence for Children Belgium a publié le rapport national belge de 2016 intitulé » Droits procéduraux des enfants étrangers soupçonnés ou accusés dans une procédure pénale/protectionnelle au sein de l’Union européenne (Pro-Jus) « . Ce rapport a été développé dans le cadre du projet européen » Droits Procéduraux des Mineurs Soupçonnés ou Accusés dans les États membres de l’Union européenne » (PRO-JUS).
Le projet PRO-JU a été mis en place dans cinq États membres : la Belgique, la France, la Hongrie, l’Espagne et les Pays-Bas. Ce projet analyse la vulnérabilité des enfants étrangers soupçonnés ou accusés dans des procédures pénales. Il s’agit de vérifier si les mineurs étrangers sont en mesure de pouvoir jouir des droits inscrits dans les trois directives procédurales européennes ainsi que de renforcer les connaissances et capacités des professionnels de la justice et de la police.
La thématique de la justice des mineurs est transversale. Le niveau fédéral a dans ses attributions l’organisation des juridictions de la jeunesse, la compétence territoriale des juridictions de la jeunesse, la procédure devant les juridictions de la jeunesse, la privation de liberté et les règles relatives à l’audition des mineurs tandis que les Communautés sont notamment compétentes en ce qui concerne la détermination et la hiérarchie des mesures qui peuvent être prises à l’égard des mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction, la détermination et l’organisation des conditions et effets du dessaisissement du tribunal de la jeunesse en cas d’inadéquation constatée par les mesures ainsi que le fonctionnement des Institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ) et des » Gemeenschapsinstellingen » (GI).
Tout suspect ou personne poursuivie ne parlant pas la langue de la procédure pénale a droit à l’assistance gratuite d’un interprète lors des interrogatoires avec la police ou de rencontres importantes avec l’avocat ou encore lors des audiences. De même, tout prévenu doit pouvoir bénéficier, dans un délai raisonnable, de la traduction écrite de tous les documents essentiels à sa défense. La traduction ainsi que l’interprétariat doivent être d’une qualité suffisante pour garantir le caractère équitable de la procédure.
Le choix de l’interprète est déterminé via des listes de la police et du parquet. Aucune spécialité » mineurs » n’existe. En outre, il ressort du rapport qu’aucune procédure officielle n’existe pour déterminer si le jeune a besoin ou non d’un interprète. Il semblerait qu’au sein des commissariats, cela se fasse » au feeling » et qu’aucun contrôle n’existe à cet égard.
De même, il n’existe pas de processus de révision permettant de vérifier la fiabilité de la traduction. L’indépendance et l’impartialité des interprètes ne sont pas totalement assurées.
Pour certaines langues, les interprètes sont rares. Il n’y a pas assez d’interprètes disponibles notamment pour le syrien, l’irakien ou dialectes comme le patchou, différent de l’afghan classique. Il apparaît également que les interprètes sont peu payés et avec beaucoup de retard par l’État. Cela alimente la pénurie d’interprètes.
L’avocat peut également demander l’assistance d’un interprète dans le cadre de l’aide juridique. Néanmoins, les interprètes figurant sur la liste officielle du parquet ne travaillent pas tous avec l’aide juridique. La pénurie est encore plus criante pour les avocats. À titre d’exemple, pour le Peul (langue de Guinée) il n’existe qu’un interprète rarement disponible. Pour le somalien, il n’existe aucun interprète. C’est pourquoi les avocats travaillent avec des associations telles SETIS mais dans ce cas, l’État ne finance pas l’interprétariat.
Les interprètes ne disposent pas de formation juridique en matière de droit de la jeunesse. Selon certains avocats, cela rend les choses parfois compliquées. À cela s’ajoutent des problèmes culturels ou religieux dans la relation entre le jeune et l’interprète de sa communauté. Par exemple, lorsque l’interprète est un homme et qu’il doit traduire les propos d’une fille musulmane.
Bien que le droit à l’interprète soit reconnu par la loi et qu’il existe des listes d’interprètes force est de constater que beaucoup de lacunes subsistent.
1) Ne serait-il opportun de revaloriser et refinancer la fonction d’interprète dans le cadre d’une procédure judiciaire avec un mineur tout en la combinant avec une formation en droit de la jeunesse?
2) L’élaboration d’une méthodologie et la création d’une commission de déontologie pour les interprètes de justice apparaissent nécessaires afin d’assurer une assistance linguistique adéquate et garantie. Une réflexion est-elle en cours à ce sujet au sein de votre ministère?
3) En septembre 2016, des interprètes de justice avaient dénoncé un manque de valorisation de leurs tarifs et de mauvaises conditions de travail générales. Il conviendrait de prévoir des rémunérations immédiates et raisonnables afin d’augmenter leur disponibilité. Un effort financier permettra de les mobiliser davantage. Qu’en pensez-vous? Dans les langues plus rares, la pénurie est-elle prise en compte? Existe-t-il un besoin réel? Comment envisagez-vous de pallier à la pénurie d’interprètes pour certaines langues?
4) Une concertation avec les Communautés a-t-elle eu lieu? Si oui, quels ont été les résultats? Dans la négative, une telle concertation est-elle envisagée? »
La réponse du ministre était attendue au plus tard le 30 mars 2017, en théorie. Elle est arrivée le 1er août. La voici:
1) Des directives européennes garantissent déjà le droit à une traduction correcte ou à l’assistance d’un interprète et ce, y compris, pour les procédures relatives aux mineurs ou celles devant le tribunal de la jeunesse. Le registre national permettra d’effectuer un contrôle de qualité et prévoit globalement une exigence de qualité dans la formation juridique. L’ajout de critères formels pour la désignation d’interprètes risque toutefois d’en réduire encore la disponibilité pour certaines langues.
2) La loi du 10 avril 2014 prévoit que les traducteurs et interprètes inscrits au registre sont liés par un code de déontologie. Ce dernier sera prochainement publié au Moniteur belge. En outre, la modification de loi approuvée en Commission de la Justice de la Chambre prévoit que les traducteurs qui prétendent pouvoir bénéficier des dispositions transitoires sont également liés par ce code.
Les anciennes listes de la police ou des parquets peuvent à présent être remplacées par une liste plus longue de tous les interprètes inscrits, avec leurs connaissances linguistiques spécifiques, telle qu’elle figure dans le registre temporaire. Jusqu’à présent, plus de 1200 traducteurs/interprètes se sont déjà inscrits.
3) Les tarifs n’ont été revus que récemment. L’arrêté royal du 22 décembre 2016 fixant les nouveaux tarifs pour les traducteurs et interprètes a été publié le 30 décembre 2016. Les nouveaux tarifs sont d’application depuis le 1er janvier 2017 pour toutes les prestations fournies en 2017. Le registre national prévoit que lorsqu’il est fait appel à un traducteur ou à un interprète qui n’est pas inscrit au registre, il faut en motiver les raisons. Cela permet au SPF Justice de chercher activement des traducteurs ou des interprètes en cas de pénurie pour certaines langues.
4) Les Communautés disposent de leur propre procédure pour l’agrément de traducteurs et d’interprètes dans certaines matières. Les traducteurs ou interprètes agréés par les Communautés pourront à terme être mentionnés dans le registre. Aucune concertation n’a encore eu lieu à ce sujet. En tous les cas, chacun, y compris les Communautés donc, aura accès au registre définitif, qui est public. Dorénavant, non seulement les magistrats et les services de police, mais aussi les avocats, les assistants sociaux et le public auront accès à la liste des traducteurs et interprètes disponibles.