L’égalité homme-femme pas encore acquise
Valérie De Bue continue de donner vie au rapport d’information sur l’égalité homme femme du Sénat. Mardi, elle était au Parlement wallon pour le présenter, en compagnie d’autres Sénatrices, au ministre régional de l’Egalité des Chances.
C’était il y a douze jours. La commission de l’Egalité des chances du Parlement wallon se réunissait avec, comme principal point à son ordre du jour, la présentation au ministre Prévot (CDH) du rapport d’information sur l’Egalité homme-femme réalisé l’année dernière au Sénat.
Sauf que l’intéressé ne s’est jamais présenté, retenu ailleurs « par les devoirs de sa charge » et suscitant du même coup l’irritation (pléonasme) des députés présents tels que Jean-Paul Wahl, chef de groupe au Sénat, ou Valérie De Bue, Sénatrice qui faisait partie des rapporteurs du document précité.
Douze jours plus tard, donc, la commission s’est à nouveau réunie avec, cette fois, la présence du ministre qui a ainsi pu entendre le résumé des Sénatrices Christie Morreale (PS), Hélène Ryckmans (Ecolo) et, évidemment, Valérie De Bue.
Cette dernière a pu aborder les sous-thématiques suivantes avec, c’est à noter, un langage clair mais précis et de nombreux exemples éloquents. Retour sur cette intervention ci-dessous :
« Dans notre pays, en matière d’égalité homme-femme, il faut le souligner, d’importantes avancées ont été réalisées. Mais d’importants obstacles subsistent et le chemin vers l’égalité est encore long. L’évolution des mentalités est trop lente. L’objectif de ce rapport était bien de les faire évoluer en déposant des recommandations claires.
Femmes et économie. Malgré les évolutions, les femmes connaissent encore de nombreuses discriminations sur le marché de l’emploi. La conciliation entre vie de famille et vie professionnelle est un dilemme qui se pose particulièrement aux femmes et qui nécessite des évolutions sociétales.
Ces vingt dernières années, le taux d’emploi des femmes en Belgique a augmenté de plus de 12%, passant de 49,2% en 1995 à 61,3% en 2013. Il reste néanmoins en deçà de celui des homme et le taux d’emploi des femmes âgées et des femmes d’origine étrangère reste particulièrement bas. L’objectif dans le cadre de la stratégie Europe 2020 est d’atteindre un taux d’emploi de 75%.
Parmi les éléments qui peuvent être mis en cause, l’offre d’accueil de la petite enfance qui ne répond pas de façon satisfaisante aux besoins des parents qui travaillent ou sont à la recherche d’un emploi. Il s’agit d’un des principaux pièges à l’emploi, particulièrement pour les femmes. Les parents ont aujourd’hui des régimes de travail qui nécessitent une adaptation du secteur. Le manque de places en structure d’accueil est également à pointer du doigt. Les divers Plans Cigogne ont tenté de pallier à cela mais il manque encore plus de 8.500 places.
Une ségrégation existe également dans la répartition des emplois, du temps de travail ou des postes occupés. Les femmes sont surreprésentées dans les secteurs ou il y a moins à gagner, elles représentent 79% des temps partiels mais très peu d’entre elles sont PDG ou sont présentes au sein des conseils d’administration de sociétés cotées en bourse.
Face à ces différents constats, il s’avère donc primordial de développer une action globale et coordonnée en vue d’une plus grande égalité hommes/femmes en matière d’emploi. Tous les niveaux de pouvoir, les partenaires sociaux et les organisations concernées de la société civile doivent prendre par à cette action.
En terme de taux d’emploi, l’objectif est clair : atteindre 75% d’ici 2020. Une attention particulière devant être portée aux groupes vulnérables sur le marché du travail : les femmes peu qualifiées, allochtones ou mères isolées. Cela ne sera possible que si les différents gouvernements prennent des mesures vigoureuses. Il faudra notamment améliorer l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle en développant par exemple le télétravail qui permettrait une meilleure organisation de la vie familiale mais aussi prendre des mesures concernant le congé parental, les congés thématiques et le congé de paternité.
La participation des femmes au marché du travail dépend aussi de l’accès aux structures d’accueil pour les jeunes enfants. Cet accueil doit être disponible, accessible et à un prix raisonnable. Il faut donc poursuivre les efforts afin d’atteindre les objectifs du pacte 2020 mais aussi assurer des heures d’ouverture plus larges et plus flexibles pour répondre aux besoins actuels des parents. Il est également important de sensibiliser et responsabiliser les employeurs à investir dans les crèches, les garderies et stages de vacances ainsi que de réviser le plan SEMA (synergie employeurs-milieux d’accueil) plus attractif.
Formation et enseignement. En matière de formation et de remise à niveau, le nombre d’heures de formation suivies est défavorable aux femmes, même si elles sont relativement plus nombreuses à suivre une formation. Les femmes suivent en général des formations plus courtes et moins onéreuses. Les travailleurs ont en moyenne 8,2 jours de formation par an. Les hommes ont plus de jours de formation (9,1 jours) que les femmes (7,5 jours).
Il est, donc, fondamental que les politiques en matière de formation (services de placement professionnel) puissent donner ses chances aussi bien aux hommes qu’aux femmes, que ce soit dans les contenus, les méthodes mais aussi dans les matériels utilisés. Les partenaires sociaux doivent favoriser l’égalité d’accès des femmes et des hommes aux formations internes et externes.
Violence. En ce qui concerne la violence à l’égard des femmes, il s’agit sans doute de l’une des discriminations la plus visible. Les cas sont légions dans notre société. La vie quotidienne nous donne des exemples de cette discrimination qui est trop souvent mise de côté ou en tout cas parfois banalisée.
Il faut savoir que les violences contre les femmes constituent la violation la plus répandue des droits fondamentaux des femmes en Europe. Ces violences peuvent prendre différentes formes comme la violence entre partenaires mais aussi le harcèlement sexuel sur le lieu de travail décrié encore il y a peu dans les médias ou encore la prostitution forcée et l’exploitation sexuelle, la pornographie, la violence psychologique, les mutilations génitales féminines, la cyber-violence et l’intimidation ainsi que la publicité sexiste, etc…
Ces violences à l’encontre des femmes contribuent à façonner leur place des femmes dans la société. Une image et des faits qui ont poussé la Belgique à adopter des lois notamment pour rendre punissable le viol conjugal. En 2013, 162 personnes sont mortes des suites de violences entre partenaires. Ce chiffre est proportionnellement plus élevé qu’en Espagne ou en Italie. Il ne tient pourtant pas compte des suicides et tentatives de suicide dus à la violence du partenaire. En général, on compte 35 incidents avant que le partenaire ne dénonce la violence. Les victimes ne dénoncent les faits qu’à partir du moment où la situation constitue une menace pour leur vie.
Depuis 1995, la lutte contre la violence est un thème important dans le cadre de la politique d’égalité des chances entre les hommes et les femmes. En Belgique, le premier plan d’action national de lutte contre la violence faite aux femmes a vu le jour en mai 2001. Pour la première fois, toutes les actions de lutte contre les violences faites aux femmes ont ainsi pu être coordonnées et élaborées en concertation.
Il manque, cependant, en Belgique un instrument d’évaluation des risques de violence domestique, qui définirait quand on peut agir, quand on est délié du secret professionnel, quand on peut procéder à une attribution du logement familial à la victime, quand la victime peut porter plainte, ou quand il faut saisir le procureur de l’affaire. Un tel instrument a été mis au point, mais il n’est pas encore appliqué. Il existe encore moins d’instruments d’évaluation des risques pour la violence liée à l’honneur.
Une autre forme de violence faite aux femmes est la violence sexuelle, notamment le viol. Notre pays compte parmi les pays européens les moins bien classés sur ce plan. Il ressort des statistiques que beaucoup de viols sont classés sans suite (20 % des auteurs sont inconnus et les preuves sont jugées insuffisantes dans 50 % des cas). Sur l’ensemble de l’année 2013, 3 072 viols ont été enregistrés, ce qui représente plus de huit cas par jour. Ce chiffre montre que cette réalité est bien présente dans notre société et qu’elle ne peut pas être bafouée.
En ce qui concerne la détection de violences sexuelles, une étude menée dans 14 hôpitaux en Flandre disposant d’un service d’urgence a révélé que dans tous les hôpitaux, les médecins réagissaient lorsqu’ils suspectaient des violences sexuelles. Il apparaît toutefois que les médecins ne sont pas suffisamment informés sur la prévalence et sur les signaux et symptômes permettant d’identifier un cas de violences sexuelles. Seuls 50% des médecins effectuent une évaluation correcte. Seulement 3 hôpitaux disposent d’un protocole en matière de violences sexuelles (en collaboration avec le parquet et la police). Les 2/3 du matériel des sets d’agression sexuelle ne sont pas analysés.
Il est primordial que le nouveau Plan d’action national soit attentif non seulement à la violence entre partenaires ou à la violence intrafamiliale, mais aussi à toutes les formes de violence. Outre l’attention particulière pour la violence sexuelle et psychique, il faut aussi accorder une attention spécifique à des groupes à risque comme les femmes enceintes, les femmes réfugiées, le personnel domestique, les femmes handicapées, les prostituées et les femmes transgenres. Pour ce faire, il faut que ces actions puissent recevoir une aide structurelle.
Les actions de prévention et les campagnes de sensibilisation, à tous les niveaux de pouvoir, doivent mettre l’accent sur le changement des comportements, ce qui peut se faire efficacement par le biais de la formation et de la méthodologie.
Des efforts doivent être menés au niveau de l’enregistrement de données. Actuellement, les statistiques ne font pas de distinction selon le sexe. Il faut aussi élaborer un code de signalement pour les médecins généralistes à l’instar de ce qui se fait aux Pays Bas.
La lutte contre les violences intrafamiliales implique une meilleure coordination des acteurs (police, justice, personnes chargées de l’assistance) et la mise en place d’une plate-forme de concertation.
Les professionnels doivent se former en permanence (notamment les dispensateurs d’aide: les soins de première ligne et les gynécologues). Les hôpitaux doivent avoir une approche globale de la violence.
Les SAS (sets d’agression sexuelle) doivent être systématiquement proposés aux victimes. Un test de dépistage rapide du VIH et MST doivent être pratiqués chez les auteurs si ils sont connus.
Prise de décision. La participation égales des femmes et des hommes au processus décisionnel est une exigence qui découle des principes d’égalité et de démocratie. Mais au sein de la Belgique fédérale, la représentation équitable dans le processus décisionnel en 2015 n’est toujours pas atteinte.
Depuis 1994, les Assemblées législatives ont enregistré une augmentation significative du nombre de femmes à tous les niveaux. Cette augmentation n’est toutefois pas égalée à tous les niveaux au sein du pouvoir exécutif avec seulement 22,2 % de femmes au gouvernement fédéral, 2,5 % au gouvernement wallon, et seulement 10,2 % de femmes bourgmestres à l’échelon communal.
Nous disposons d’un cadre légal qui garantit aux femmes et aux hommes l’égal exercice de leurs droits et libertés et favorise leur égal accès aux mandats électifs et publics. Un décret wallon vise notamment à assurer une présence égale et alternée entre hommes et femmes sur les listes de candidatures aux élections communales et provinciales organisées en Région wallonne.
Le décret mixité du gouvernement wallon prévoit également une représentation maximale des deux tiers des membres du même sexe au sein des organes consultatifs et d’administration publics. Au niveau des organes de gestion des services publics, si de façon générale la représentation des femmes est en progression. Mais leur nombre ne suffit pas à satisfaire aux seuils définis, au niveau des fonctions supérieures principalement. Cela concerne aussi bien les services publics fédéraux où les mandats relatifs aux hautes fonctions sont détenus à 24% par des femmes plutôt qu’un fonctionnaire sur trois comme défini qu’au niveau des entités fédérées.
Dans les sociétés cotées en bourse figurant dans le Bel20, le pourcentage de femmes au sein des conseils d’administration est passé de 11 % en 2011 à 20 % en 2013. C’est un effet de la loi de juin 2011, qui dispose qu’un tiers au moins des membres du conseil d’administration des entreprises publiques et des sociétés cotées en bourse doit être des femmes. Les décrets du 9 janvier 2014 de la Région wallonne visent une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d’administration des organismes privés agréés par la Région.
Si ces constats montrent dans l’ensemble une dynamique positive, des mesures structurelles doivent être généralisées dans les divers domaines d’intérêt général de la société ou auxquels les autorités contribuent, en vue de réaliser une participation égale des hommes et des femmes au processus décisionnel.
L’expérience a montré que les quotas sont efficaces lorsqu’ils ont été bien conçus et qu’ils sont accompagnés d’objectifs quantitatifs concrets, de délais et de sanctions. Les objectifs chiffrés sont également efficaces pour atteindre l’objectif visé s’ils font partie d’une politique intégrée accompagnée de délais, s’ils font l’objet d’un suivi et s’ils sont corrigés là où c’est nécessaire.
Il y a lieu de prendre des mesures structurelles afin de garantir une présence égale de femmes et d’hommes au sein du pouvoir exécutif, dans le prolongement de ce qui se fait sur le plan législatif à tous les niveaux de pouvoir, donc aussi bien dans les divers gouvernements qu’au niveau des provinces et des communes.
Concernant les femmes dans la fonction publique, les dispositions légales et les objectifs chiffrés doivent être assortis d’une politique d’encadrement. L’on pourra s’inspirer de la méthode appliquée en Flandre avec un fonctionnaire à l’émancipation et un rapport annuel faisant le point sur l’émancipation. Il y a lieu de veiller à l’application de la loi relative à la présence obligatoire d’au moins un tiers de membres du conseil d’administration de sexe différent de celui des autres membres au sein des conseils d’administration des entreprises publiques et des entreprises cotées en bourse.
Comme les mesures structurelles ne suffisent pas à elles seules, il y a lieu d’élaborer une stratégie globale qui nous permette d’avoir une idée précise des statistiques en matière de genre et de prévoir des informations permettant de lutter contre les stéréotypes courants, de faire campagne en vue de changer les mentalités, d’autonomiser les femmes et de mettre en avant des modèles, en y associant tous les acteurs concernés et en leur faisant prendre leurs responsabilités. »
Seul bémol à cette commission : le manque de temps n’a pas permis au ministre d’intervenir de manière complète. Il a donc été décidé de lui redonner la parole le mardi 5 juillet. A suivre, donc.